1945 le Maroc que j'ai connu par André GORGES

Je fais parti de la classe de recrutement militaire 1943. Le 2 février 1945, la guerre n’était pas terminée, j’ai été appelé sous les drapeaux dans l’Armée de Terre. Volontaire pour l’Armée de l’Air, je me suis retrouvé après un passage par la BA 112 de Reims et une traversée de la Méditerranée en Liberty Ship américain, à la BA 304 de Médiouna-Sagon au Maroc ,pour y faire mon instruction militaire.

BASE 304 MEDIOUNA-SAGON

La base était située à environ vingt cinq kilomètres de Casablanca sur la route qui mène de Casablanca à Marrakech dans la plaine la Chaouïa .

Cette plaine était un océan de cailloux sous lesquels grouillaient de nombreux scorpions et de gros scolopendres. On y voyait aussi de gros lézards, mais je n’ai jamais vu de serpents.

Des douars étaient dispersés de ci de là. Leurs habitants logeaient dans des huttes très primitives, les «NOUALA ». Ils cultivaient un peu d’orge et élevaient des moutons et des « chameaux » (on devrait dire dromadaires mais c’était un mot inconnu au Maroc .

Cette base de Médiouna avait été baptisée Sagon du nom d’un lieutenant qui s’était tué à l’entraînement à bord d’un de ces dangereux « Bell Airacobra » livrés par les américains à l’Armée de l’Air. Cet appareil partait volontiers en vrilles à plat.

Le personnel était logé dans de nombreux bâtiments sans étage qui possédaient des avants toits pour protéger les fenêtres du soleil. Ils étaient assez confortables.

Une adduction d’eau avec des robinets partout avait été installée. Hélas trois fois hélas les robinets débitaient une eau très salée donc imbuvable.

La piste avec sa tour de contrôle était en excellent état mais elle ne servait plus que de piste de secours en cas d’atterrissage d’urgence.

Quelques hangars abritaient encore des Bell P 39 Airacobra qui ne volaient plus.

LES UNIFORMES

Nous étions arrivés avec des tenues d’hiver. La chaleur commençait à arriver et il nous fallait des tenues d’été. Nous rêvions tous du paquetage américain, mais pour l’avoir il fallait être affectés sur les terrains du front.

On dégota des tenues de toile beige appelées « tenues de facteur » en argot A A, mais elles étaient tachées et même parfois déchirées, donc pas mettables

Les tenues « Soudan » étaient très seyantes. Elles se composaient d’un short ultra court et d’une chemisette, le tout en gros coton blanc. Le bruit courait qu’elles venaient de l’armée italienne en déroute. A l’intérieur on pouvait lire en lettres noires : « Made in Japon ».

Enfin arrivèrent des tenues neuves de provenance anglaise ou canadienne. Elles étaient en toile vert clair. La veste était parfaite mais le short arrivait nettement au dessous du genou. Sans que nous ne nous soyons vraiment concertés, au rassemblement suivant tout le monde arriva avec des shorts à mi-cuisse. Quelques uns avaient carrément coupé, beaucoup d’autres, dont moi, avaient prudemment fait un très gros ourlet. Aucune remarque ne nous a été faite par la hiérarchie.

Comme il était interdit de sortir en ville en short on nous donna des pantalons en toile kaki de fabrication locale, mais la mauvaise qualité de la teinture était telle qu’ils devinrent rose bonbon au bout de quelques lavages. On avait bonne mine dans Casa ou dans Rabat.

Pour nous chausser nous touchâmes des « NAÏLS ». C’était tout simplement les sandales traditionnelles des célèbres goumiers marocains. Les semelles étaient faites de vieux pneus.

Le problème des casques métalliques est une histoire à dormir debout. Il y avait des casques français guerre 1914, guerre de 1939/40 d’infanterie ou des troupes motorisées, des casques anglais, des casques américains et même quelques casques italiens prises de guerre. J’avais un casque des troupes motorisées.

« Rompez vos rangs, je ne veux plus vous voir en casques » a dit un jour notre chef horrifié.

Pour les casques coloniaux c’était plus simple on avait le choix entre le casque anglais avec sa visière en pointe et le casque français modèle 1931. J’avais un modèle 31.

Un camarade a parlé un jour de nos uniformes qui n’ont d’uniformes que leur diversité. Comme il avait raison.

L’INSTRUCTION MILITAIRE.

Nous étions à Médiouna pour notre instruction militaire. Mais pour cela il faut des instructeurs qui sont pour la plupart des sous-officiers. Or je le répète la guerre n’était pas finis et tous les gradés de l’Armée de l’Air renaissante était en France, sur le front.

Le vieux lieutenant-colonel qui commandait la base eut une idée de génie. Il fit le recensement de tous les étudiants et enseignants, j’étais instituteur, et leur dit : « Vous ferez fonction de sergents et vous serez instructeurs ». On nous distribua des « Livre du gradé de l’Armée de l’Air » que nous devions potasser avant de commencer l’instruction. Des sections furent créées. Elles étaient en principe commandées par des aspirants issus de la résistance. Ces derniers étaient en attente de départ pour les écoles de pilotage en Amérique au CPPN de Casa (Centre de préparation du personnel navigant). Il n’avaient aucune connaissance militaire et ne pensaient qu’à leur départ qui je crois fut annulé à cause de la fin de la guerre. On ne les vit pas plus de deux fois.

Faire l’instruction militaire à ses camarades, c’est délicat. On peut facilement avoir la grosse tête, se prendre au sérieux et devenir insupportables. Les camarades peuvent très bien ne pas vouloir être commandés par des égaux. Rien de tout cela n’est arrivé. Le soir : « Garde à vous. Rompez les rangs », après le salut, tout le monde redevenait copains.

Nous fûmes tous reçus caporaux. L’examen avait été dirigé par quelques vrais gradés. Il en restait encore quelques uns.

LES SÉANCES DE TIR

Le stand de tir était loin. Il fallait marcher deux heures par le soleil et dans la caillasse. Le casque colonial était bien utile quand rentrions à la base en plein midi, au plus fort de la chaleur.

Nous tirions au mousqueton qui est un fusil très court et au FM 24/29. Au tir le mousqueton a un recul terrible.

Quand quelqu’un tirait au FM un camarade se mettait à genoux en face de la fenêtre d’éjection de l’arme et récupérait les étuis des cartouches tirées dans son casque colonial.

LES DISTRACTIONS

À Médiouna nous étions en plein bled. Nous n’avions comme distraction que le quartier libre du dimanche pour descendre à Casa. La base se trouvait, je l’ai déjà dit, sur la grande route Casa Marrakech et on faisait facilement du stop.

A Casa les distractions ne manquaient pas : visites de la ville et cinéma. Nous mangions dans l’un des nombreux foyers du soldat qui existaient à cause de la guerre. Au foyer des « Alsaciens Lorrains » nous étions choyés car nous étions les seuls qui venions du bled. « France Auto » était bien aussi.

Pour rentrer à la base il fallait prendre un taxi arabe. C’étaient des véhicules invraisemblables dans lesquels nous nous tassions. Une fois nous étions 14. Le chauffeur complétait son chargement en emmenant sur le toit cinq ou six compatriotes. Il y en avait toujours un qui laissait pendre ses jambes contre le pare brise devant le conducteur ce qui gênait grandement la conduite. Il y avait 25 km à parcourir à vitesse réduite heureusement. Dans chaque descente le chauffeur coupait le moteur et laissait la voiture descendre en roue libre. Pour économiser l’essence ?

AIR MAROC

L’instruction était terminée et nous avions droit à une permission. Mais nous étions trop loin de nos familles. L’Armée de l’Air nous a alors offert une semaine de plage dans un camp situé à proximités du ravissant port de Fédala (maintenant Mohammedia). Cette semaine de détente nous a fait le plus grand bien.

Et puis vint le moment des affectations dans les bases. Avec deux excellents camarades je fus affecté à l’Etat Major de l’Air au Maroc (Air Maroc) qui était situé dans les locaux de la B.A. de Rabat-Ville.

J’avais été nommé au 1er bureau, Section personnel. Après avoir été élevé au grade de caporal, je suis devenu rédacteur. C’était un travail très intéressant. Je réglais des affaires quelquefois compliquées, j’affectais des gens dans des bases. Mes chefs, un capitaine et un lieutenant, étaient parfaits. Et puis il y avait cette belle ville de Rabat avec ses monuments comme les Oudaïas, la Tour Hassan, Chellah sa Médina. Parfois seul, parfois avec mes copains je visitais, j’allais au cinéma, au restaurant ou on mangeait des langoustes pour pas cher. En ajoutant à tout ça la douceur du climat, je peux dire que je menais une vie de rêve.

Et puis un jour de décembre, catastrophe. On m’annonce que je suis affecté à l’École des élèves aspirants de réserve à Aix en Provence. Je me rappelle alors que lors de mon incorporation, comme j’étais instituteur, on m’avait demandé si je voulais devenir officier de réserve et que j’avais répondu machinalement « oui ». J’avais totalement oublié, mais pas l’Armée de l’Air.

Adieu le Maroc et la belle vie que j’y menais. Je suis rentré en France par « Voie aérienne militaire » ce qui a été mon baptême de l’air, à bord d’un Junker 52.

Je ne suis même pas devenu officier car j’ai été démobilisé avant la fin des cours.