Histoire de l'hélice du logo de l'Association Maison Rouge
par E. RACHOU

RATTLESDEN (Suffolk ) – Dimanche 6 février 1944
Comme tous les matins de cette année 1944, la paisible campagne Anglaise du Suffolk est réveillé par les grondements des moteurs Wright des Forteresses Volantes qui s’apprêtent à quitter leurs bases parsemées dans cette partie de l’Angleterre où s’est installée la 8th Air Force de l’United States Army Air Force.
Sur la Base 126 de Rattlesden (1), c’est peu après 7 heures que les vingt et un B-17G du 447th Bomb Group désignés pour la mission du jour s’alignent derrière l’avion du Capitaine W.W. BROWN, leader de la formation, pour décoller de l’une des trois pistes du terrain . Dans la forteresse volante 42-31145 « HI JINX» (2) du 708th Squadron du groupe, le pilote, Lieutenant Allen REED, aidé de son co-pilote, Sous-Lieutenant Arthur CLARK, effectue les dernières vérifications en appelant un à un par l’interphone les huit autres membres de l’équipage (3).
À 7h27, la tour ayant donné l’autorisation de décoller, les avions marqués d’une grande lettre K sur la dérive (4) s’élancent les uns après les autres sur la piste, en direction de la France.
L’objectif: le terrain d’Evreux-Fauville (aujourd’hui Base aérienne 105 ) dans l’Eure.
Très vite, l’un des B-17 doit faire demi-tour par suite d’un incident technique. Le reste de la formation poursuit sa route vers Evreux, mais ne peut réaliser le bombardement de l’objectif lors du premier survol, par suite de la présence d’une couche nuageuse.
C’est en effectuant une large boucle, vers 10 heures du matin, à 22 000 pieds au-dessus du sud de la région parisienne avant de revenir vers Evreux (5) que le 42-31145 est touché. La Flak réalise un coup au but juste derrière le cockpit, puis les moteurs 3 et 4 prennent feu. L’appareil
commence alors sa chute mortelle au-dessus de la zone Orly-Wissous .
WISSOUS (Seine et Oise ) – Dimanche 6 Février 1944
La commune de Wissous se trouvait très proche de trois lieux farouchement défendus à l’époque par la Flak Allemande : la gare de triage de Juvisy (alors la plus importante de la France) à une dizaine de kilomètres, l’aérodrome d’Orly, et enfin la gare de Montjean ( entre Rungis et Wissous) située sur une ligne faisant le tour de Paris, et dans laquelle stationnait un train DCA .
A 10h20 , début d’alerte à Wissous et premiers tirs de la DCA . Vers 11h le 42-31145 est à nouveau touché par la Flak (probablement par celle de Montjean ). Allen REED, le pilote, s’écroule sur les commandes, mortellement blessé .Le co-pilote Arthur CLARK, qui était en train de tenter d’éteindre l’incendie ravageant la soute à bombes encore pleine, revient alors précipitamment vers le poste de pilotage et ordonne au reste de l’équipage de sauter en parachute .
Des huit aviateurs à avoir sauté, seuls six survivront pour être immédiatement capturés par les Allemands. Les corps du bombardier , Sous-Lieutenant Thomas WILKINS, et du navigateur, Sous-Lieutenant James CAMPBELL , seront trouvés non loin du point d’impact de l’appareil, encore attachés à des parachutes criblés d’éclats d’obus de DCA .
Pendant ce temps, l’avion continue sa chute vers le sol, et percute le mur de clôture de la propriété des étangs (6) avant de s’écraser dans un pré. En prenant contact avec le sol il déracine sur sa droite un énorme noyer et des arbres fruitiers avant de stopper. Deux moteurs se détachent avec leurs hélices (7) et descendent le pré en pente.
Raymond et Bernard RACHOU , propriétaires des lieux, sont parmi les premiers à arriver près de l’épave. La partie avant de l’appareil est complètement défoncée, et des canots de sauvetage orange pendent sur les flancs du fuselage. Deux cadavres (ceux d’Allen REED et d’Arthur CLARK) se trouvent à l’intérieur, presque entièrement dévêtus.
Les témoins remarquent au moins une bombe non explosée, et les réservoirs crevés qui se vident dans le pré (pendant des mois, une couche d’essence recouvrira l’eau des sources) .
Puis, très vite, les Allemands arrivent à bord d’une traction avant et d’un tracteur FAR à trois roues tirant un plateau remorque. Un Officier fait descendre ses hommes qui chassent les civils présents et fouillent les taillis . A midi, l’alerte est terminée .
WISSOUS (Essonne ) -Dimanche 13 mai 1984
Quarante ans après ces dramatiques évènements, la municipalité de Wissous décidait de dédier un monument à la mémoire de l’équipage du 42-31145.
Ce monument, situé à quelques mètres de l’endroit ou s’écrasa le B17, fut inauguré devant plusieurs centaines de personnes le 13 mai 1984, en présence d’Alain POHER, président du Sénat, d’un détachement de la Base aérienne 107 de Villacoublay et de dix militaires de l’U.S Air Force , membres de la garde d’Honneur de la Base de Zweibrücken en Allemagne Fédérale •
Pour l’occasion, trois des membres survivants de l’équipage étaient revenus à Wissous après avoir été retrouvés et contactés par l’Ambassade des Etats-Unis, Edmund HARMA, Robert RUSS et James ALEXANDER.
Leur premier séjour à Wissous quarante plus tôt avait été très bref, puisque les Allemands les capturèrent dès leur arrivée au sol avant de les mener pour une longue captivité .
Les survivants du « HI JINX » étaient accompagnés à Wissous par Edwin CHAPIN, pilote du B17 « JERSEY HO » de la même formation, qui assista depuis son poste de pilotage à la chute tragique de l’appareil de ses camarades •
1944-1984
Les habitants de Wissous n’ont pas oublié, et le texte gravé en Anglais et en Français sur le monument de pierre rappelle désormais aux visiteurs les circonstances du drame:
« Le dimanche 6 Février 1944 à 11h30 cet endroit fut le point de chute du B17G « K» 231145 E du 447ème groupe de bombardement de I’U.S Air Force. L’équipage fit son possible pour éviter Wisous. Quatre de ses membres y trouvèrent la mort ……..
Remerciements
L’auteur remercie Messieurs René MOULIN et Paul RACHOU, ainsi que les survivants de l’équipage présents à Wissous en mai 1984 pour leurs précieux témoignages .
Autres sources:
– Journal de marche du 447th Bomb Group
– « Airfields of the Eight ,then and now » ( Roger A.FREEMAN, After the Battle Publications)
Flying Fortress (E.JABLONSKI, Doubleday )
Notes
(1) – Construite en 1942 pour l’USAAF, la Base de Rattlesden reçut une unité de B 26 « Marauder » avant l’arrivée du 447th Bomb Group et ses B 17G en Novembre 1943 . Ce groupe devait effectuer 256 missions de guerre pendant son séjour à Rattlesden et réaliser l’un de ses meilleurs scores de précision de bombardement parmi les Unités de la 3èmeAir Division à laquelle il appartenait .
La Royal Air Force récupéra le terrain après le retour du groupe aux Etats-Unis en juillet 1945 mais ne l’utilisa que très brièvement avant de le mettre en vente. Le club de vol à voile de Rattlesden opère aujourd’hui sur l’une des anciennes pistes .
(2) – JINX est un terme familier d’origine Américaine qui signifie « maléfice » .
Cet avion n’était pas la machine habituellement affectée au Lieutenant REED et à son équipage, leur appareil ayant été endommagé par la Flak lors d’une précédente mission .
(3) – La composition détaillée de l’équipage était la suivante :
– pilote : Lieutenant Allen S.REED
– co-pilote : Sous-Lieutenant Arthur L.CLARK
– navigateur : Sous-Lieutenant James A.CAMPBELL
– bombardier : Sous-Lieutenant Thomas G. WILKINS
– radio : Sergent Edmund G.HARMA
– mitrailleur supérieur : Sergent William DAVIDGE
– mitrailleur inférieur : Sergent Paul G.BOLES
– mitrailleur de queue : Sergent Robert T.RUSS
– mitrailleur latéral gauche Sergent James W.ALEXANDER
mitrailleur latéral droit : Sergent Benjamin A.DENNY
(4) – La lettre K portée sur la dérive était la marque du 447th Bomb Group . Quatre Escadrons le composait : 708, 709, 710, 711 . Les avions du 708, auquel appartenait le B 17 tombé à Wissous , étaient reconnaissables à leurs capots moteurs peints en jaune . Pour avoir une bonne idée des marques des appareils du 447th Group , on pourra se reporter aux nouvelles couleurs qu’arbore le B 17 « Sally B » maintenu en état de vol sur la Base de Duxford en Angleterre .
(5) – Les appareils restants de la formation lâchèrent 226 bombes de type GP (soit 57 tonnes) sur l’aérodrome d’Evreux . Dix-sept d’entre eux furent légèrement touchés par des éclats d’obus de la Flak . Les B 17G regagnèrent leur Base de Rattlesden à 13h35 •
7) – Une des hélices de l’appareil fut donnée au Musée de l’Air en 1973. Cette hélice est maintenant en place depuis le 14/07/1986 dans la Marne à Vraux près de la « Maison Rouge » (ancien QG du terrain d’aviation de Condé-Vraux) comme Mémorial pour ce terrain utilisé de 1939 à 1945 par la R.A.F, la Luftwaffe et l’USAAF .